La Syrienne et son petit

von Antoine Jaccoud 23. November 2017

J’ai chaud.
Ma chemise blanche me serre.
J’ai grossi depuis ce congé-maladie forcé.Quand j’étais garde-frontière, je bougeais davantage. Je mangeais certes pas mal de sandwiches mais je bougeais davantage.

Je me demande à quelle heure le Président va interrompre l’audience.
On ne va quand même pas demander cinquante fois à la Syrienne si elle avait mal, si elle saignait, à quelle heure exactement elle a perdu les eaux, et si son vagin avait commencé à se dilater.
Un peu de respect pour la pudeur de cette femme quand même.
Bien sûr qu’elle avait mal, bien sûr qu’elle saignait, bien sûr qu’elle avait perdu les eaux.
Et c’est à peu près certain que son vagin s’était dilaté.
Je connais la question. Ma femme aussi elle est passée par là.  A deux reprises même. Une fois pour Ryan, et une fois pour Melissa.
Sauf que ma femme, elle est du Toggenburg, elle n’est pas d’Alep.
Et puis ma femme je l’aime, tandis que la Syrienne je ne l’aime pas, ou en tout cas j’ai ordre de n’avoir aucune empathie à son égard.  C’est une migrante, pas une femme sur le point de donner la vie.
Alors une migrante qui a mal, qui saigne, qui a perdu les eaux et dont le vagin s’est dilaté, tu ne la regardes pas, ou si tu la regardes, c’est comme une bête, comme une chienne, comme une moins-que-rien que tu vas te dépêcher de fourguer aux collègues de Domodossola pour qu’ils  s’en occupent, et surtout pour que son petit naisse chez eux et pas chez nous.
Non pas qu’ont ait le droit du sol en Suisse, mais si une de ces migrantes fait son petit chez nous, elle va vouloir l’allaiter et le lécher et Dieu sait quoi encore, et ce sera encore une excuse pour traîner chez nous.

Ouf, le Président a suspendu l’audience jusqu’à demain.
Je vais pouvoir rentrer chez moi
J’ai hâte de retrouver ma femme et mes enfants.
Dans ces moments, avoir le soutien de sa famille, c’est important.